Le lemme des noyaux est un lemme fondamental concernant la réduction des endomorphismes, capital pour discuter de la réduction de Frobenius et de la réduction de Jordan.
Dans cette article, nous donnerons une preuve détaillée du lemme des noyaux, ainsi qu’une mise en pratique
Prérequis
Pour comprendre le Lemme des noyaux, il faut à minima, avoir manipuler les polynômes, l’algèbre de l’anneau \mathbb{K}[X] , et l’irréductibilité des polynômes, la notion de PGCD de polynômes, et le merveilleux Lemme de Bézout.
Un minimum de connaissance concernant les espaces vectoriels est demandé, les définitions de ceux-ci, les sommes directes et les endomorphismes d’espace vectoriel.
Énoncé du Lemme
Soit u: V \to V un endomorphisme, où V est un \mathbb{K}-espace vectoriel de dimension finie.
Si P \in \mathbb{K}[X] est un polynôme annulateur de u , c’est-à-dire P(u) = p_nu^n + p_{n-1}u^{n-1} + \dots + p_1u + p_0 = 0 \in L(V) , avec P se décompose comme un produit de polynômes premiers entre eux P = Q.R .
Alors l’espace vectoriel V est décomposable en une somme direct de deux sous-espace stables par u .
V = V_1 \oplus V_2 avec V_1 = \ker(Q(u)) et V_2 = \ker(R(u)).Démonstration
Nous commençons en utilisant le lemme de Bézout.
Par conséquent, on évalue maintenant le polynôme en u qui est un endomorphisme, aussi il faut remarquer que ce que l’on appelle “produit” d’un endomorphisme est ici, la composition des deux endomorphismes.
Ceci donne A(u)\circ Q(u) + B(u) \circ R(u) = Id_V .
Par ailleurs nous savons que P(u) = (Q.R)(u) = Q(u)\circ R(u) = (R.Q)(u) = R(u)\circ Q(u) = 0 \in L(V)
Nous allons maintenant montrer que grâce au deux égalités précédentes V = ker(R(u)) \oplus ker(Q(u)) , donc nos deux espaces sont V_1 = ker(R(u)) et V_2 = ker(Q(u)) .
D’abord, si v \in V ,
\begin{aligned} v & = (Id_V)(v)\\ & = [A(u)\circ Q(u) + B(u) \circ R(u)](v)\\ & = A(u)\circ Q(u)(v) + B(u) \circ R(u)(v) \end{aligned}
Aussi A(u)\circ Q(u)(v) \in ker(R(u)) . En effet,
\begin{aligned} R(u)(A(u)\circ Q(u)(v)) & = R(u)\circ A(u) \circ Q(u)(v)\\ & = A(u) \circ (R(u) \circ Q(u))(v)\\ & = A(u)\circ P(u)(v)\\ & = A(u)\circ 0(v)\\ & = 0(v)\\ & = 0.\end{aligned}
En suivant le même calcul, je vous laisse vous persuader que B(u) \circ R(u)(v) \in \ker(Q(u)).
Par conséquent, on a déjà montrer que V \subset \ker(Q(u)) + \ker(R(u)).
L’inclusion dans l’autre sens est simple, tout les vecteurs de ker(Q(u) et ker(R(u)) sont avant tout déjà dans V .
Donc à ce moment V = \ker(Q(u)) + \ker(R(u)) , il reste à montrer que cette somme est direct.
Il s’agit de montrer que leur intersection ne contient que 0,
Soit v\in \ker(Q(u)) \cap \ker(R(u)) , alors par l’égalité déduite de l’identité de Bézout,
\begin{aligned} v & = Id_V(v)\\ & = [A(u)\circ Q(u) + B(u) \circ R(u)] (v)\\ & = A(u)(Q(u)(v)) + B(u)(R(u)(v))\\ & = A(u)(0) + B(u)(0) \\ & = 0 + 0\\ & =0 \end{aligned}
Donc \ker(Q(u)) \cap \ker(R(u)) \subset \{0 \} , dans l’autre sens, tout endomorphisme évalué en 0 prend la valeur 0 , donc \ker(Q(u)) \cap \ker(R(u)) = \{0 \} .
On a montré que la somme est directe, V = \ker(Q(u)) \oplus \ker(R(u))
Il reste à montrer que la décomposition est stable par u . En fait, ceci est juste dépendant de la forme de l’espace vectoriel, qu’importe T \in K[X] un polynôme, \ker(T(u)) est stable par u .
Si v \in ker(T(u)) alors T(u)(v) = 0 , il s’agit de montrer que u(v) \in ker(T(u)) .
Il suffit de poser le calcul et d’utiliser les polynômes
\begin{aligned} T(u)(u(v)) & = T(u)\circ u (v)\\ & = (T(X).X)(u)(v) \\ & = (X.T(X))(u)(v)\\ & = u(T(u)(v))\\ & = u(0)\\ & = 0 \end{aligned}
Exemple
Prenons l’endomorphisme de \begin{array}{cccc} u :& \mathbb{R}^4 &\to &\mathbb{R}^4\\ &(x,y,z,t)& \mapsto & (-x + 2y-2z+2t,-x+y,z-2t,-t).\end{array}
Donner une description des sous-espaces vectoriels stables par u.
Dont la matrice dans la base canonique est :
U = \begin{pmatrix} -1&2&-2&2 \\ -1&1&0&0\\ 0&0&1&-2\\ 0&0&0&-1 \end{pmatrix}
Le calcul montre que le polynôme P(X) = X^4 -1 annule U ,
U^2 = \begin{pmatrix} -1&0&0&0\\ 0&-1&2&-2\\ 0&0&1&0\\ 0&0&0&1 \end{pmatrix},
Puis
U^3 = \begin{pmatrix} 1&-2&2&-2\\ 1&-1&2&-2\\ 0&0&1&-2\\ 0&0&0&-1 \end{pmatrix}
Finalement,
U^4 = \begin{pmatrix} 1&0&0&0\\ 0&1&0&0\\ 0&0&1&0\\ 0&0&0&1 \end{pmatrix} = I_4
Donc (X^4-1)(u) = 0 \in L(\mathbb{R}^4) .
On peut décomposer X^4 -1 en polynome irréductible dans \mathbb{R} ce qui donne X^4 -1 = (X^2+1)(X-1)(X+1)
On applique le lemme des noyaux deux fois, et on obtiens, V = \mathbb{R}^4 = \ker(u^2+Id_V) \oplus \ker(u - Id_V) \oplus \ker(u + Id_V) .
Ensuite, on détermine les noyaux:
- U - I_4 = \begin{pmatrix}-2&2&-2&2\\-1&0&0&0\\0&0&0&-2\\0&0&0&-2\end{pmatrix}. On peut trouver que \ker(u - Id_V) = Vect\left(\begin{pmatrix}0\\1\\1\\0\end{pmatrix}\right).
- U + I_4 = \begin{pmatrix} 0&2&-2&2\\ -1&2&0&0\\ 0&0&2&-2\\ 0&0&0&0 \end{pmatrix} . On peut trouver que \ker(u + Id_V) = Vect\left(\begin{pmatrix}0\\0\\1\\1\end{pmatrix}\right).
- U^2 + I_4 = \begin{pmatrix} 0&0&0&0\\ 0&0&2&-2\\ 0&0&2&0\\ 0&0&0&2 \end{pmatrix} . On peut trouver que \ker(u^2 + Id_V) = Vect\left(\begin{pmatrix}1\\0\\0\\0\end{pmatrix}, \begin{pmatrix}0\\1\\0\\0\end{pmatrix}\right).
Finalement \mathbb{R}^4 = Vect\left(\begin{pmatrix}0\\1\\1\\0\end{pmatrix}\right) \oplus Vect\left(\begin{pmatrix}0\\0\\1\\1\end{pmatrix}\right) \oplus Vect\left(\begin{pmatrix}1\\0\\0\\0\end{pmatrix}, \begin{pmatrix}0\\1\\0\\0\end{pmatrix}\right) , est décomposé en 3 sous-espaces stables.
Exercice
\mathbb{C} est dit algébriquement clos, en particulier, tout polynôme irréductible est de la forme (X + \lambda) pour un certain \lambda \in \mathbb{C} . Désormais, tout u \in L(\mathbb{C}^4) décompose l’espace \mathbb{C}^4 en somme de 4 sous-espace stables.Attention l’exercice est long!
Recommencer dans \mathbb{R} avec l’endomorphisme dont la matrice dans la base canonique est
\begin{pmatrix} 3&1&0&-1&1&0&-1&1\\ 0&3&1&-6&5&1&-6&5\\ 0&0&3&-5&2&2&-4&2\\ 0&0&0&-2&4&-3&-1&4\\ 0&0&0&0&2&-3&1&1\\ 0&0&0&0&2&-2&3&-2\\ 0&0&0&0&0&0&3&-4\\ 0&0&0&0&0&0&3&-3 \end{pmatrix}
On remarquera que X^8 - 7*X^7 + 14*X^6 - 8*X^5 - 3*X^4 + 93*X^3 - 216*X^2 + 162*X - 324 est un polynôme très intéressant possédant 2 comme racine et 3 comme racine triple. Ce polynôme se décompose en un produit de 4 polynômes distincts irréductibles, tous à coefficients entiers.