Le Chevalier de Méré, de son vrai nom : Antoine Gombaud est un écrivain français du 17e siècle.
Adepte des paris et des jeux de hasard, il remarque que parier sur le fait qu’au moins un “6” apparaisse sur quatre lancers de dés (classiques, équilibrés à six faces) est avantageux. Cela signifie que la probabilité de cet événement est strictement supérieure à 0,5. Il ajoute également qu’il est tout aussi avantageux de parier sur le fait qu’au moins un “double 6” apparaisse sur vingt-quatre lancers d’un couple de dés (toujours les mêmes dés).
Description du paradoxe du chevalier de Méré
Pour synthétiser : selon son expérience, ces deux paris sont avantageux. Et d’après son raisonnement, ils auraient tous les deux la même probabilité de succès.
Justement, jetons un coup d’œil à son raisonnement.
Le Chevalier de Méré se justifie en disant que, puisqu’il y a 4 lancers et 6 possibilités, la probabilité du premier événement doit être 4/6 = 0,666… > 0,5.
De même, puisque pour le second événement il y a 24 lancers et 36 possibilités. La probabilité du second événement doit être de 24/36 = 4/6 = 0,666… > 0,5.
Ce raisonnement est évidemment faux, et on peut s’en convaincre facilement. Il suffit de considérer l’événement “au moins un 6 apparaît sur 6 lancers d’un dé non truqué à 6 faces”.
En suivant un raisonnement analogue à celui du Chevalier de Méré, puisqu’il y a 6 lancers et 6 possibilités, la probabilité de cet événement doit être de 6/6 = 1. Cela voudrait dire que cet événement est certain.
Et c’est bien sûr complétement faux !
Toutefois, une question demeure : parier sur ces événements est-il avantageux ?
C’est ce que nous allons voir !
Historiquement, c’est le mathématicien Blaise Pascal qui s’est chargé de corriger le Chevalier de Méré en calculant rigoureusement ces probabilités.
Modélisation mathématique
Commençons par noter :
- A : “On obtient au moins un 6 sur 4 lancers d’un dé”
- B : “On obtient au moins un double 6 sur 24 lancers d’un couple de dés”
On suppose toujours que les lancers sont effectués avec des dés à 6 faces non truqués et, on notera aussi, \bar{A}\;\text{et}\;\bar{B} respectivement l’événement complémentaire (ou contraire) de A, l’événement complémentaire de B
Dans ce cas,
- \bar{A} :”On n’obtient aucun 6 sur 4 lancers de dés”
- \bar{B} :”On n’obtient aucun double 6 sur 24 lancers d’un couple de dés”
On pose également :
- \forall k\in \{1,2,3,4\}, \;X_k : “On n’obtient pas de 6 au k-ième lancer”
- \forall k\in \{1,2,\ldots,24\}, \;Y_k: : “On n’obtient pas de double 6 au k-ième lancer”
Ainsi,
\begin{array}{ll} \bar{A}&=X_1\cap X_2\cap X_3\cap X_4\\ \bar{B} &= Y_1\cap Y_2\cap...\cap Y_{24} \end{array}
On calcule alors la probabilité de ces deux événements assez facilement. Les (X_{k}) sont indépendants et les (Y_{k}) sont également indépendants.
\begin{array}{ll} \mathbb{P}(\bar{A})&=\mathbb{P}(X_1\cap X_2\cap X_3\cap X_4)=\mathbb{P}(X_1)\mathbb{P}(X_2)\mathbb{P}(X_3)\mathbb{P}(X_4)\\ \mathbb{P}(\bar{B})&=\mathbb{P}(Y_1\cap Y_2\cap...\cap Y_{24})=\mathbb{P}(Y_1)\mathbb{P}(Y_2)...\mathbb{P}(Y_{24})\\ \end{array}
Et aussi, les (X_{k}) sont tous de même probabilité : il est tout aussi probable de ne pas avoir de 6 au premier lancer qu’au quatrième, et c’est évidemment la même chose pour les (Y_{k}).
Tous les (X_{k}) sont de probabilité 5/6 (en appliquant la loi uniforme, il y a 5 résultats “gagnants” pour un résultat “perdant” et ils sont tous équiprobables).
Tous les (Y_{k}) sont de probabilité 35/36 (il y a 35 résultats “gagnants” pour un seul résultat “perdant” et ils sont tous équiprobables).
De ce fait,
\begin{array}{lll} \mathbb{P}(\bar{A})&=\mathbb{P}(X_1)^{4}&= \left(\frac56\right)^4\\ \mathbb{P}(\bar{B})&=\mathbb{P}(Y_1)^{4}&= \left(\frac{35}{36}\right)^{24}\\ \end{array}
Puisqu’on connaît la probabilité de l’événement contraire, on connaît celle de l’événement initial et,
\begin{array}{lll} \mathbb{P}(A)&=1- \left(\frac56\right)^4&\approx0,518\\ \mathbb{P}(B)&=1- \left(\frac{35}{36}\right)^{24}&\approx0,491\\ \end{array}
Conclusion
Malgré son raisonnement incorrect, le Chevalier de Méré aura eu raison sur un point, le premier pari est légèrement avantageux ! Cependant, il s’était bel et bien trompé sur le second pari, celui-ci est très légèrement désavantageux. Et ces événements ne sont donc pas du tout de même probabilité.
Si on souhaite gagner, il faudrait donc plutôt privilégier le premier pari !
En réalité, le raisonnement du Chevalier de Méré n’était pas si bête que ça. En effet, avec ses calculs il déterminait plutôt (pour le premier pari) l’espérance de la variable aléatoire. Cette variable aléatoire compterait le nombre de “6” obtenu sur 4 lancers. En effet, cette variable aléatoire suit une loi binomiale B(4,1/6) et donc, son espérance est 4 x 1/6 = 4/6.
De même pour le second pari, l’espérance de la variable aléatoire qui compterait le nombre de double “6” obtenu sur 24 lancers est 24 x 1/36 = 4/6. En effet, cette variable aléatoire suit la loi binomiale B(24,1/36).