Le but de cet article et de quelques autres est d’aboutir à la réduction de Frobenius d’un endomorphisme, une occasion de discuter d’algèbre linéaire et sert d’exemple simple à plusieurs notions évoluées des cours d’algèbre élémentaire. Tous les articles de cette série sont réunis ici. Ce deuxième article démontre deux lemmes utiles à la démonstration de réduction de Frobenius.
Prérequis
Motivation
Le théorème de réduction de Frobenius permet de classer les endomorphismes suivant une liste de restriction à des sous-espaces vectoriels, sur lequel il est cyclique. Cette réduction résume l’endomorphisme à une suite de polynôme qui se divise successivement.
Nous verrons que dans le cas d’un endomorphisme cyclique, la suite se résume au seul polynôme \mu_u = \chi_u.
Cette caractérisation détermine la classe de similitude de l’endomorphisme, c’est-à-dire tous les autres endomorphismes qui lui sont conjugués. Notre objectif est de fournir une démonstration de cette réduction, puis de montrer que cette réduction est caractéristique des endomorphismes qui lui sont semblables.
Dans le cas où u \in L(V) est cyclique, il est possible de trouver un vecteur v \in V tel que le début de son orbite forme une base de V = \mathbb K[u](v).
Si l’on parvient à trouver un vecteur de polynôme minimal \mu_v étant exactement le polynôme caractéristique de l’endomorphisme \chi_u, l’objectif est atteint, l’endomorphisme est cyclique.
Toutefois cette quête est limitée par le polynôme minimal \mu_u dans le cas où \mu_v | \mu_u \ne \chi_u. Atteindre le polynôme caractéristique est trop ambitieux. Commençons par chercher un polynôme un peu plus souple, le polynôme minimal. Les quelques propriétés suivantes fournissent des outils rendant le polynôme minimal très accessible.
Proposition : Facteur irréductible
Si le polynôme minimal de u se factorise \mu_u = P^r.Q avec P irréductible et P,Q premiers entre eux, alors il existe un vecteur v vérifiant \mu_v = P^r.
Démonstration
Le lemme des noyaux indique que V = \ker(P^r(u)) \oplus \ker(Q(u)). Pour v \in \ker(P^r(u)), on a \mu_v | P^r. Il reste à trouver au moins un tel vecteur vérifiant P^r | \mu_v. On a \ker(P^{r-1}(u)) \subset \ker(P^{r}(u)), l’égalité ne peut avoir lieu. Si tel est le cas, alors le polynôme \mu_u | P^{r-1}Q ce qui entre en contradiction avec la définition du polynôme minimal.
Conclusion, il existe un vecteur v \in \ker(P^{r}(u)) \setminus \ker(P^{r-1}(u)), par construction \mu_v = P^r.
Proposition : Polynôme minimal d’une somme
Pour deux vecteurs x,y \in V, tels que \text{pgcd}(\mu_x,\mu_y) = 1 alors \mu_{x+y} = \mu_x\mu_y.
Démonstration
D’une part, par linéarité, \mu_{x+y}(u)(x) = -\mu_{x+y}(u)(y).
Il en découle que,
\begin{align*}0 & = \mu_{x+y}\mu_{y}(u)(y) \\ &= \mu_{y}\mu_{x+y}(u)(y) \\ &= -\mu_{y}\mu_{x+y}(u)(x),\\ & \text{ par conséquent, } \mu_x | \mu_{y}\mu_{x+y}. \end{align*}
Comme pgcd(\mu_{y},\mu_{x}) = 1 , le lemme de Gauss donne \mu_x | \mu_{x+y}, pareillement on montre que \mu_{y} | \mu_{x+y}. On applique encore une fois pgcd(\mu_{x},\mu_{y}) = 1, et on obtient que \mu_{x}\mu_{y}| \mu_{x+y}.
D’autre part,
\begin{align*} \mu_{x}\mu_{y}(u)(x+y) & = \mu_{x}\mu_{y}(u)(x) + \mu_{x}\mu_{y}(u)(y) \\ & = \mu_{y}\mu_{x}(u)(x) + \mu_{x}\mu_{y}(u)(y) \\ & = 0+0 = 0. \end{align*}
Finalement \mu_{x+y} | \mu_x\mu_y et \mu_{x+y} = \mu_x\mu_y .
Lemme, polynôme minimal atteint
Soit u \in L(V), \mu_u son polynôme minimal, alors il existe un vecteur v \in V vérifiant \mu_v = \mu_u.
Démonstration
On utilise les deux propriétés précédentes. Le polynôme minimal de u se décompose en un produit de polynômes irréductibles \mu_u = P_1^{r_1}\dots P_n^{r_n}. La proposition facteur irréductible indique qu’il existe des vecteurs v_i \in V vérifiant \mu_{v_i} = P_i^{r_i}. La proposition Polynôme minimal d’une somme nous permet de conclure que \mu_{v_1 + \dots + v_n} = P_1^{r_1}\dots P_n^{r_n} = \mu_u.
Nous savions déjà que si \mu_u \ne \chi_u alors u n’est pas cyclique, en réalité c’est une caractérisation, si u est tel que \chi_u = \mu_u, alors u est cyclique.
Nous avons montré sans trop d’effort qu’il est possible de trouver un vecteur qui atteint le polynôme minimal, ce qui est déjà très bien. L’endomorphisme induit sur l’espace engendré par ce vecteur est cyclique. Toutefois pour continuer, nous souhaitons étudier le reste de l’endomorphisme sur le reste de l’espace, en le considérant sur un supplémentaire. Il est évident que l’on peut considérer un supplémentaire de notre espace cyclique. Cependant, il est beaucoup moins évident de montrer que celui-ci est stable. Nous allons pallier à notre précipitation en montrant que le choix d’un tel supplémentaire stable est possible.
Proposition : Supplémentaire stable
Soit u \in L(V) et v \in V avec \mu_u =\mu_v, alors on peut trouver un sous-espace vectoriel F \subset V stable par u vérifiant V = K[u](v) \oplus F .
Démonstration
Soit u \in L(V) et v \in V vérifiant, \mu_u = \mu_v, et k = \deg(\mu_u).
On peut compléter la base B_v en une base de V arbitrairement. On regarde maintenant la base duale correspondante. Soit \phi \in V^* la forme linéaire qui correspond à v_{k-1},
\begin{cases} \phi(v_{k-1})& =1& \\ \phi(b) &= 0& \text{ pour les autres vecteurs qui constitue la base} \end{cases}
Posons,
\begin{align*} F & = K[^tu](\phi) \\ & = K\phi + K(\phi \circ u) + \dots + K(\phi \circ u^{k-1})\subset V^* \\ F^\perp & = \big\{v | \ l(v) = 0, \forall l \in F\big\} \subset V. \end{align*}
En effet, \mu_u(u) = 0 entraine F est stable par ^tu,
\phi \circ u^k \in Vect(\phi \circ u^i)_{i < k}.
Aussi F^\perp est stable par u, nous allons montrer que notre candidat F^\perp est le supplémentaire recherché. Soit x \in K[u](v) \cap F^\perp, il s’écrit comme
x = \sum_{i=0}^{k-1} a_i u^i(v).
Pour tout j < k, on a (\phi\circ u^j)(x) = a_{k-1-j} = 0. On en déduit que x = 0, d’où K[u](v)\cap F^\perp = \big{0 \big}. Comme F^\perp \oplus K[u](v), on sait déjà que \dim(F^\perp) \leq \dim(V) - \dim(K[u](v)). Il ne reste plus qu’à vérifier que,
\begin{align*} \dim(F^\perp) & = \dim(V) - \dim(K[u](v)) \\ & = \dim(V) - k\\ & \iff \dim(F^\perp) \geq \dim(V) -k \\ & \iff \dim(F^\perp) \geq \dim(F) + \dim(F^\perp) - k \\ & \iff k \geq \dim(F).\\ \end{align*}
Ce qui est déjà le cas, par définition de F, il est engendré par une famille de k formes. Par conséquent le candidat F^\perp est bien un supplémentaire de K[u](v) stable par u.
Exercice
Montrer que si u \in L(V) est cyclique alors, dans une base bien choisi u est représenté par la matrice \mathcal{C}(\chi_u).